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Les ONG et l’autre moitié du monde

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Type
article de presse
Dans
Le Temps
25.01.2023

Fin décembre, le secteur humanitaire apprenait l’interdiction faite aux femmes en Afghanistan de travailler pour les organisations non gouvernementales, sur motif que certaines avaient été vues exerçant leurs professions sans le vêtement imposé par le gouvernement taliban. Il convient de noter que ce contexte n’est malheureusement pas un cas isolé. Au Sahel, les ONG ont dû composer avec des contraintes liées à la mixité homme femme. Entre fin 2013 et 2014, des règles strictes avaient été édictées par des groupes fondamentalistes dans le nord de la Syrie pour restreindre les déplacements des femmes. En avril 2022, le gouvernement houti au Yémen avait imposé la règle du mahram, soit l’obligation pour une femme de voyager accompagnée d’un tuteur masculin, grevant ainsi les possibilités de déplacement pour un grand nombre de professionnelles yéménites.

« Il est à craindre que ces restrictions entraînent des retombées dramatiques pour la population »

En Afghanistan, les conséquences d’une telle décision sont bien connues par les agences humanitaires, l’isolement des femmes rendant leur accès aux soins presque impossible ainsi qu’à leurs enfants, spécialement dans un contexte où le praticien doit absolument être du même sexe que son patient. Suite à l’exclusion de la population féminine de l’école et de l’université préalablement décrétée par le gouvernement, le pays se verra privé d’un corps médical vital alors que son système de santé est déjà exsangue.

Si certaines agences ont immédiatement déclaré devoir suspendre leurs opérations, quelques organisations de santé- qui pour certaines ont réussi à obtenir des formes de dérogation – ont opté pour un maintien de leurs activités médicales, non seulement pour assurer la continuité des soins pour des populations particulièrement délaissées et vulnérables, mais également pour ne pas renforcer l’isolement politique et social des femmes.

Les justifications avancées par les pouvoirs en place pour interdire le travail des femmes sont aisément identifiables à travers l’histoire et les contextes, oscillant entre contrôle social et prétendue protection de leur santé ou de leur moralité, reléguant la moitié du monde à l’espace domestique, espace clos où la supervision du chef de famille peut s’exercer sans contrainte. En France, dès la fin du XIXe siècle, les femmes ne peuvent travailler la nuit, et ce, pour éviter non seulement des violences physiques mais aussi pour protéger leurs capacités reproductrices et leur « intégrité morale ».

En 2018, un rapport de la Banque mondiale fait état de plus de 100 pays ayant des restrictions sur le travail nocturne des femmes ou dans certains secteurs d’activité. D’autre part, cette analyse souligne que la discrimination juridique de l’accès au travail fondée sur le sexe entraîne une perte de revenus importante et compromet la croissance économique d’un pays.

Au-delà de l’émotion immédiate suscitée par la décision du gouvernement taliban, les atteintes répétées aux droits des Afghanes auront malheureusement un coût social et humain. L’organisation Médecins sans frontières est présente dans le pays depuis plus de quarante ans, emploie plus de 2500 personnes (dont plus de la moitié sont des femmes) et prodigue des soins gratuits dans huit provinces. Si l’organisation a choisi de maintenir ses services, certaines n’ont pas eu d’autre choix que d’arrêter leurs activités. Dans un pays où le système de santé s’est effondré, la crise économique massive et les besoins de soins immenses notamment en ce qui concerne les maladies chroniques et infectieuses, il est à craindre que ces restrictions entraînent des retombées dramatiques pour la population. Le nombre de femmes qui périront des suites d’un accouchement difficile effectué seule à leur domicile, les implications d’un vaccin manqué d’un nouveau-né ou l’impact de l’interruption de traitements contre la tuberculose ne seront pas recensés. Pourtant, ces drames invisibles constitueront bien pour les plus vulnérables le prix à payer, conséquence d’une décision aussi inique que tragique.

Cet article a été originellement publié dans Le Temps le 25 janvier 2023.

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