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« Au Niger, la population est prise en otage »

Auteurs
Françoise Duroch, Moussa Ousman
Thème
Mots-clés
Type
article de presse
Dans
Geneva Solutions
20.09.2023

La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a depuis le 30 juillet pris un ensemble de sanctions à l’encontre du Niger suite au récent coup d’Etat, parmi lesquelles on peut citer la suspension des transactions commerciales et financières, l’interruption du trafic aérien et la fermeture officielle des frontières avec le Bénin et le Nigéria. Les relations marchandes avec l’extérieur sont par conséquent entravées par la fermeture et la réouverture des frontières, et certaines voies d’approvisionnement sont bloquées, empêchant par exemple l’acheminement de matériel médical essentiel. L’aide humanitaire, également paralysée, ne bénéficie à ce jour d’aucune exemption malgré l’appel des Nations Unies. 

A Médecins Sans Frontières (MSF), organisation présente au Niger depuis 1985, la situation actuelle fait craindre une amplification de la crise nutritionnelle et un manque d’accès aux soins dans le pays, touchant en premier lieu les populations les plus vulnérables. La saison des pluies étant aussi en cours, les cas de paludisme se multiplient et les équipes font face à une épidémie de diphtérie dans les régions frontalières avec le Nigéria.

Situation précaire pendant la période de soudure

La sécurité alimentaire a longtemps été un domaine privilégié des politiques des sociétés sahéliennes. Au Niger, les gouvernements en place devaient historiquement faire leurs preuves quant à leur capacité à gérer les pénuries, et l’histoire rapporte que le premier président Hamani Diori a fait l’objet d’un coup d’État militaire suite à son incapacité à endiguer la famine de 1973-1974. Le pays est en effet extrêmement vulnérable à l’insécurité alimentaire et le manque de nourriture qu’engendre d’ores et déjà l’embargo qui a suivi le putsch militaire ne pourra qu’aggraver une situation déjà précaire.

Nous sommes en effet actuellement au milieu d’une période dite de soudure, la production agricole du Niger ne permettant de couvrir que sept mois les besoins des populations. Récemment, le Programme Alimentaire Mondial rappelait dans une note de synthèse que plus de trois millions de personnes, soit 13% de la population, étaient en insécurité alimentaire sévère avant le putsch. Dans la région dite des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) mais également dans le bassin du lac Tchad, nous observons depuis longtemps des déplacements de populations, essentiellement dus à une insécurité chronique. Malheureusement, ces facteurs contribuent à fragiliser des populations déjà éprouvées par un contexte instable.

L’embargo, une mesure efficace ?

Dans la région du Sahel, la mise en œuvre de sanctions a considérablement augmenté ces dernières années suite à une série de coups d’État (Burkina Faso, Mali et Guinée), notamment le « travel ban » et le gel des avoirs bancaires. Il faut cependant distinguer les mesures ciblées, visant par exemple un gouvernement, de celles plus générales qui s’appliquent à un État dans son ensemble comme c’est le cas au Niger.

Développées en Europe vers la fin du XIXème siècle au moment de l’essor des échanges économiques entre États, les sanctions économiques sont devenues après la Première Guerre mondiale une manière de tenter d’empêcher la survenue de nouveaux conflits en brandissant la menace d’un embargo total. Actuellement, ces décisions sont quelquefois prises en dehors du cadre onusien, à l’initiative par exemple d’un gouvernement, suivant bien souvent les intérêts économiques de leurs instigateurs. 

S’il est difficile d’évaluer l’efficacité de telles pratiques d’un point de vue politique, des recherches récentes s’accordent pour souligner que les mesures globales tendent à être peu efficaces, alors que des décisions très fermes amènent des stratégies de contournement comme le développement de marchés noirs. Les sanctions graduelles en lien avec des objectifs clairs pourraient être pertinentes mais dans tous les cas, elles font payer le prix fort aux populations civiles concernées.

Le poids des conséquences

Les embargos mis en place notamment en Haïti et en Irak au début des années 1990 ont donné lieu à une abondante littérature, soulignant les retombées désastreuses que ceux-ci ont fait peser sur la population, spécialement en termes d’épuisement de ressources alimentaires, de dégradation du tissu social ainsi que des systèmes de santé, et plus généralement sur l’infrastructure économique.

Bien que la situation au Niger soit sensiblement différente, la rapidité de la décision de la CEDEAO n’a pas permis la mise en place d’actions préventives de la part des organisations non gouvernementales et internationales, dont le pré-positionnement de l’aide en anticipation d’une future crise.

Actuellement, les ruptures d’électricité dans les centres de santé, la pénurie de produits nutritionnels thérapeutiques ainsi que l’épuisement des stocks de vaccins et de traitements pour les maladies chroniques font craindre des conséquences sanitaires dramatiques pour le pays. Nos équipes enregistrent actuellement à Magaria, ville située au sud du Niger, une mortalité infantile de plus de 7% par semaine dans les services de pédiatrie et de nutrition, alors que près de 400 personnes ont été admises pour suspicion de diphtérie dans le pays. D’autre part, la raréfaction des denrées alimentaires risque également d’entraîner à court terme une explosion des prix sur les marchés, déstabilisant un équilibre déjà ténu.

En conséquence, nous demandons à la CEDEAO une exemption pour les organisations humanitaires, en lieu et place des sanctions collectives, afin de pouvoir continuer à fournir une aide vitale pour la population du Niger. Le pays restant sensible à un ensemble de risques épidémiques, il convient de ne pas relâcher nos efforts pour protéger les plus vulnérables.

Avis post-publication, 22 septembre 2023

Malgré que la CEDEAO ait finalement répondu favorablement à la demande des Nations Unies de laisser passer les convois humanitaires entre le Bénin, le Togo et le Nigeria, les camions sont toujours bloqués entre le Bénin et le Niger suite à des tensions diplomatiques entre ces deux pays, empêchant l’acheminement de denrées essentielles vers Diffa, Maradi, Tahoua, Zinder et Niamey.

Cet article a été originellement publié dans Geneva Solutions le 20 septembre 2023.

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